Lettre ouverte à nous-mêmes

« Malheureux qui ne sait pas qu’il possède deux grands trésors à l’intérieur de lui-même : la clarté de l’esprit, qui peut le rendre libre, et la bonté du cœur, qui peut le rendre heureux. »

Frédéric Lenoir

En règle générale, une lettre, qu’elle soit « ouverte » ou non, est destinée à une tierce personne, dans le but d’échanger avec elle sur des sujets divers, plus ou moins intimes, plus ou moins agréables, plus ou moins importants. Mais prenons-nous suffisamment le temps de communiquer avec nous-mêmes, de nous questionner, de nous sonder… Tel est précisément le but de cette « Lettre ouverte à nous-mêmes », étant entendu que ce sera à vous de l’adapter à votre vécu et de vous l’approprier intérieurement.

Écrire une lettre ouverte destinée à soi-même présuppose de l’adresser à notre moi intérieur, c’est-à-dire à notre conscience, dans ce qu’elle a de plus intime. Par on ne sait quel mystère, celle-ci nous donne « bonne conscience » ou « mauvaise conscience », selon les circonstances du moment. Vous aurez noté que cette faculté est innée, ce qui explique pourquoi les enfants, dès leur plus jeune âge, sont capables de faire la distinction entre un comportement fondamentalement bon et un comportement fondamentalement mauvais. Et ceci est vrai depuis l’origine de l’humanité, indépendamment des races, des nationalités, des cultures, des religions, etc. J’ajouterai que ce que l’on nomme « libre arbitre » est précisément l’aptitude de tout être humain à choisir entre ce qu’il sait être bien ou mal vis-à-vis de lui-même, des autres et de la société en général.

La « voix de notre conscience »

Il ne fait aucun doute que vous avez souvent affaire à la « voix de votre conscience », voix intérieure qui, précisément, nous donne « bonne conscience » ou « mauvaise conscience ». Au moment où nous l’entendons, nous savons que ce qu’elle dit est vrai. Lorsque c’est agréable, cela nous rend heureux et serein ; lorsque c’est désagréable, cela nous rend malheureux et anxieux. Bien que douce à l’écoute, cette voix est si puissante qu’elle peut mener quelqu’un qui a « bonne conscience » à se transcender davantage encore au service du bien, et quelqu’un qui a « mauvaise conscience » à ne plus dormir, voire à mettre fin à ses jours. En cela, elle peut être plus forte que l’instinct de survie. Quoi qu’il en soit, il est impossible de la faire taire ; nous pouvons uniquement en tenir compte ou non.

À ce stade de notre réflexion, je vous propose de vous rappeler la dernière fois où la voix de votre conscience s’est fait entendre à vous. Quel sujet cela concernait-il ? Vous a-t-elle donné « bonne conscience » ou « mauvaise conscience » ? Etait-ce agréable ou désagréable ? Comment avez-vous réagi à son écoute ? Autant de questions qui vous permettront de revivre intérieurement ce moment durant lequel vous avez été à l’écoute de ce qu’il y a de plus profond en vous. L’ayant fait, que ressentez-vous ? Puis demandez-vous si vous auriez aujourd’hui la même réaction que celle que vous avez eue alors. Que ce soit « oui » ou « non », comment l’expliquez-vous ?

Si la voix de notre conscience se fait régulièrement entendre à nous sans que nous le souhaitions, c’est-à-dire indépendamment de notre volonté, il arrive à tous de la solliciter et de faire ce que l’on appelle couramment un « examen de conscience ». Ce peut être avant de nous endormir, à un moment de la journée où nous nous sentons disponible, en réponse à un désir ou à un besoin soudain… Dans ce cas, il s’agit d’un acte volontaire. Autrement dit, c’est nous qui sollicitons notre conscience pour avoir son éclairage sur notre comportement en telle ou telle circonstance. Selon les cas, ce qu’elle met en lumière est positif, négatif ou mitigé. Lorsque c’est négatif ou mitigé, le jugement qu’elle émet n’a rien de sentencieux et ne s’apparente nullement à une condamnation. En fait, c’est nous-mêmes qui, sous son impulsion, nous jugeons à travers ce qu’elle nous dit.

En règle générale, lorsque l’on procède à un examen de conscience, c’est parce que l’on a le sentiment parfois confus d’avoir mal agi vis-à-vis de nous-mêmes, d’une tierce personne ou de la société en général. On se remémore alors les évènements qui ont fait naître ce sentiment et on les analyse. A l’issue de cette analyse, soit on se sent effectivement ʺcoupableʺ, soit on se sent ʺinnocentʺ. Dans le premier cas, deux réactions sont possibles : essayer de réparer le mal que nous avons fait, ou en faire fi et reprendre le cours ʺnormalʺ de notre existence, comme si de rien était. Dans le second cas, nous éprouvons un certain soulagement intérieur, non sans en tirer une leçon de vie. Quoi qu’il en soit, il est sain et utile de procéder régulièrement à des examens de conscience et d’agir en conséquence. Ne pas le faire est aussi préjudiciable que de ne pas procéder à un examen médical de temps à autre.

« La culpabilisation est non seulement inutile, mais nuisible »

S’il est sain et utile de faire régulièrement des examens de conscience, il faut veiller à ne pas culpabiliser lorsqu’ils nous sont ʺdéfavorablesʺ. Nous commettons tous des erreurs de jugement et de comportement. Si tel est le cas,  c’est parce que nous sommes imparfaits et ne détenons pas la vérité. Plutôt que de nous en vouloir lorsque nous avons conscience d’avoir mal agi, il faut se ressaisir et, comme je l’ai dit précédemment, nous employer à réparer le tort que nous avons pu causer. La culpabilisation est non seulement inutile, mais également nuisible. Outre qu’elle ne peut changer ce qui a été fait, elle constitue un poison mental et psychologique qui nous ronge de l’intérieur et génère en nous des inhibitions. Dans les cas extrêmes, elle provoque des frustrations qui nuisent à notre bien-être général, au point de nous rendre malade.

En application des remarques précédentes, je vous propose à nouveau de prendre quelques minutes pour déterminer si vous avez tendance ou non à culpabiliser. Si c’est le cas, vous devez absolument travailler sur vous-même pour déculpabiliser et prendre du recul à l’égard des évènements passés qui vous donnent des remords ou vous inhibent. En supposant que ce que vous vous reprochez soit grave, il faut apprendre à vous pardonner vous-même, non sans vous évertuer à ne plus renouveler les comportements qui vous donnent « mauvaise conscience ». D’un point de vue rosicrucien, ce qui est ʺcoupableʺ sur le plan karmique, ce n’est pas notre imperfection du moment ni les erreurs que nous pouvons commettre, mais notre manque d’effort à nous parfaire et à agir au mieux. En cela, le karma n’est pas une loi punitive ; son but est de contribuer à notre perfectionnement, à notre évolution intérieure.

S’il est un fait que nous avons tous des défauts et des lacunes, nous avons également des qualités et des points forts. Là encore, prenez quelques instants pour les conscientiser. Ce faisant, vous vous harmoniserez avec le meilleur de vous-même, ce qui vous mettra du baume au cœur et, si besoin était, vous redonnera confiance en vous-même. L’une des conditions essentielles au bonheur est d’être une bonne compagnie pour soi-même. Mieux encore, il faut s’employer à être son meilleur ami, c’est-à-dire ce ʺdoubleʺ de nous-mêmes qui est à notre écoute, qui nous aime tel que nous sommes, qui ne nous juge pas et encore moins nous condamne, qui nous comprend, qui ne demande qu’à nous aider sans retour, qui est indulgent à l’égard de nos erreurs, … S’aimer soi-même, au sens d’aimer ce qu’il y a de mieux dans notre personnalité, est une nécessité pour être heureux.

La question qui se pose est de savoir pourquoi la vie, telle qu’elle s’exprime à travers nous, nous donne tantôt « bonne conscience », tantôt « mauvaise conscience », selon ce que nous avons pensé, dit ou fait. Certains diront : « parce que c’est comme ça… » et ne verront aucune raison particulière à cela. D’autres auront le sentiment que ce processus est un guide moral qui nous incite à nous comporter le mieux possible envers nous-mêmes et les autres. C’est ce que je pense ; mais j’irai plus loin : d’un point de vue rosicrucien, il s’agit d’une faculté spirituelle, en ce sens qu’elle est inhérente à notre âme. En fait, c’est elle qui nous incite à exprimer ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine, à savoir l’intégrité, l’humilité, la générosité, la tolérance, la bienveillance et autres qualités.

Évoluer graduellement vers l’état de Sagesse

Une autre question se pose : Pourquoi notre âme nous incite-t-elle à exprimer ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine ? Parce que c’est la raison même de son existence et, par voie de conséquence, de la nôtre. Si nous vivons sur Terre, c’est effectivement pour évoluer graduellement vers l’état de Sagesse, appelé « état de Rose-Croix » dans la terminologie rosicrucienne. Et puisque cet état ne peut pas être atteint en une seule vie, la plupart des Rosicruciens admettent comme une évidence le principe de la réincarnation. En application de ce principe, ou plutôt de cette loi spirituelle, tout être humain en vient de vie en vie à éveiller de plus en plus de qualités, de « vertus » pour reprendre le terme cher à Socrate. Devenu sage, au sens mystique et philosophique, il n’est plus dans l’obligation de se réincarner ; autrement dit, ce que les Bouddhistes appellent « saṃsāra » a pris fin pour lui.

Peut-être n’adhérez-vous pas à la réincarnation, ni même à l’idée que nous possédons une âme ? De même, peut-être n’êtes-vous pas convaincu que nous évoluons graduellement vers l’état de Sagesse ? Mais vous conviendrez certainement que si chacun de nous s’évertuait à être intègre, humble, généreux, tolérant, bienveillant, non-violent … dans la vie quotidienne, les relations au sein de la famille et de la société dans son ensemble seraient cordiales et agréables pour tous. De ce fait, elles contribueraient au bien-être et au bonheur de chacun, ce qui revient à dire que les êtres humains seraient plus heureux sur un plan individuel et collectif. N’est-ce pas ce que vous-même souhaitez ? J’en suis convaincu, sinon, vous auriez déjà mis fin à la lecture de cette lettre.

Comment s’améliorer ? Comment se parfaire ? Comment évoluer vers l’état de Sagesse ? En premier lieu, il faut le vouloir sincèrement, au point d’en faire un idéal. En second lieu, il faut procéder avec méthode. Celle que les Rosicruciens utilisent depuis toujours a fait ses preuves. Conscients de leurs défauts (nous en avons tous), ils s’évertuent, sans jamais culpabiliser, à les transmuter en leurs qualités opposées. Cette manière de procéder s’apparente à ce qu’ils désignent sous le nom d’« alchimie spirituelle ». À titre d’exemple, s’ils savent, en leur âme et conscience, qu’ils manquent encore d’humilité, ils s’efforcent d’acquérir cette vertu plutôt que de lutter contre leurs élans d’orgueil. D’une manière générale, il est vain de combattre un défaut, car cela ne fait que le renforcer, voire l’exacerber, avec toutes les conséquences négatives qui en résultent à l’encontre de vous-mêmes et des autres.

Le Maître intérieur

En langage symbolique, la voix de notre conscience est celle de notre Maître intérieur, c’est-à-dire de notre Moi spirituel, dans ce qu’il a de plus pur, de plus parfait, pour ne pas dire de plus divin. Dans l’absolu, il est la Sagesse même, celle qu’aucun Maître spirituel incarné ne peut posséder. Il est en nous l’incarnation de Dieu, tel que chacun Le conçoit. C’est pourquoi les philosophes spiritualistes se sont toujours accordés pour dire que c’est au plus profond de nous-mêmes, dans notre Temple intérieur, que nous devons chercher l’inspiration de bien agir et de nous comporter dignement. C’est là aussi que se trouve la véritable Connaissance, celle que les Sages et les Initiés ont toujours privilégiée. A ce propos, rappelons que Platon enseignait que notre âme intègre tout ce que nous devons connaître pour vivre heureux et nous épanouir sur tous les plans.

Sur le fronton du Temple de Delphes était gravée la maxime « Connais-toi toi-même », à laquelle fut rajouté beaucoup plus tard « et tu connaitras l’univers et les dieux ». Quasiment tous les philosophes grecs avaient fait de cette maxime le fondement de leur enseignement. Ils étaient convaincus que seule la Sagesse peut conduire les hommes à se respecter mutuellement et à vivre heureux ensemble. Pour eux, il était également évident que c’est au plus profond de nous-mêmes qu’il faut la rechercher, d’où l’importance qu’ils accordaient à l’introspection. Comme les Rosicruciens d’aujourd’hui, ils considéraient que notre corps est le temple de notre âme, et que c’est à l’intérieur de ce temple que luit la lumière qui peut éclairer nos pas sur le sentier de la vie, dans notre intérêt et dans celui d’autrui.

À propos des Philosophes grecs, Pythagore, qui fut le premier à être désigné sous le nom de « philosophe », recommandait à ses disciples de faire régulièrement des « examens de conscience » et de ne jamais s’endormir sans avoir fait le bilan de la journée écoulée en se posant deux questions essentielles : « Qu’est-ce que j’ai fait de bien ? », « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? ». Cela fait, chacun devait s’engager vis-à-vis de lui-même à réajuster son comportement si besoin était. Par ailleurs, il aimait rappeler ce conseil : « Il faut agir dans la vie comme si elle ne devait jamais finir ou au contraire s’arrêter soudainement ». Pour lui, le plus important était de faire en sorte d’avoir autant que possible « bonne conscience ». Il pensait en effet que c’était là « le meilleur moyen d’être heureux et de recevoir la faveur des dieux ».

Pour faire suite à cette « Lettre ouverte à nous-mêmes », je vous invite, lorsque vous vous sentirez disponible, à vous retirer dans un endroit tranquille et à vous écrire une « Lettre ouverte à moi-même ». Un tel ʺexerciceʺ vous obligera à vous intérioriser, à vous interroger sur vous-même et à faire un « examen de conscience ». Par la même, cela vous rapprochera de ce qu’il y a de plus intime en vous, à savoir votre âme elle-même. Nul doute que cela vous sera  bénéfique sur tous les plans. Et qui sait, cela suscitera peut-être en vous le désir et le besoin de devenir le meilleur ami de vous-même.

Avec mes pensées les plus fraternelles.

Sincèrement,

Serge Toussaint

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