La pandémie causée par la covid 19 a bouleversé le monde et mis en évidence une tendance qui était déjà en cours depuis plusieurs décennies : la montée de l’individualisme. Plus que jamais peut-être dans l’histoire récente de l’humanité, c’est le « chacun pour soi » qui prédomine dans les comportements, et ce, dans quasiment tous les pays. À l’heure où les réseaux dits “sociaux” prolifèrent et drainent des centaines de millions d’internautes, beaucoup de personnes se sentent infiniment seules et isolées. N’y a-t-il pas là un paradoxe que l’on peut qualifier de « pathétique » tant il est préoccupant ? Quoi qu’il en soit, comme nombre de Rose-Croix, j’ai le sentiment que la situation actuelle est devenue très critique pour le « bien vivre ensemble ».
La montée de l’individualisme
Comment expliquer que les êtres humains soient devenus de plus en plus individualistes au cours du temps ? Il n’y a pas de réponse absolue à cette question, mais je pense que cela tient essentiellement à la combinaison de deux facteurs : une carence au niveau de l’éducation, et un mode de vie de plus en plus fondé sur l’égotisme, sur le culte du « moi-je ». Jadis, dans le milieu familial et à l’école, on apprenait aux enfants à se soucier de l’autre et à être collectif. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Par ailleurs, l’émergence d’internet a donné naissance à une culture de l’ego, chacun s’employant à se faire remarquer des autres et à s’auto-centrer. Beaucoup se comportent comme si le “monde tournait autour de leur personne”, et les “amis” qu’ils ont sur Facebook ne sont pour la plupart que des “faire-valoir”.
Est-ce à dire que les réseaux sociaux sont en eux-mêmes une mauvaise chose ? Non ; comme nombre d’inventions et d’outils, ils sont neutres en tant que tels. Tout dépend de l’usage qui en est fait, ce qui met en cause le libre arbitre des utilisateurs et les buts qu’ils poursuivent à travers ces réseaux. D’une manière générale, internet reflète le niveau de conscience et la mentalité des gens de notre époque. À ce jour, il faut malheureusement reconnaître qu’il réfléchit davantage les mauvaises tendances de la nature humaine que les bonnes, d’autant que nombre d’internautes se réfugient derrière l’anonymat pour s’exprimer. Cela étant, il ne dépend que de nous de faire en sorte que cet espace de communication et d’information rapproche réellement les êtres humains, les élève sur tous les plans, et contribue à rendre le monde meilleur pour tous.
Au cours des dernières décennies, un autre changement a eu lieu dans les comportements : autrefois, les êtres humains étaient plutôt solidaires et s’entraidaient mutuellement dans les épreuves. De nos jours, on constate qu’ils ont plutôt tendance à se préoccuper d’abord et avant tout d’eux-mêmes, c’est-à-dire de leur sauvegarde, de leur sécurité, de leur existence, parfois au détriment de celle des autres. Sous l’effet de l’instinct de survie, il est naturel, en cas de péril ou de danger, de réagir pour se préserver physiquement et psychologiquement. Mais la dérive individualiste de la société a fait que ce qui prévaut en cas de menace grave, c’est désormais le “sauve-moi d’abord”. À cela s’ajoute une défiance généralisée envers les autres. Naturellement, et fort heureusement, il se trouve encore et toujours des personnes, des institutions, des organisations et autres mouvements qui ont des visées humanistes et se montrent secourables envers leur prochain.
Le repli nationaliste
Exacerbée par la covid 19, la crise sociale et économique qui touche quasiment tous les pays du monde n’a pas uniquement renforcé l’individualisme ; elle a également accru le nationalisme, qui constitue en fait un repli sur soi collectif. C’est ainsi que nombre de pays, face à l’adversité, en viennent de plus en plus à ne privilégier que leurs intérêts, parfois là aussi au détriment des autres, notamment des plus faibles. La “course” au vaccin actuelle est très révélatrice de cette tendance, comme le sont depuis longtemps la propension de certains États à monopoliser les ressources naturelles et à concentrer les moyens de production industrielle, pour mieux en priver les autres. Pourtant, tôt ou tard, cet égoïsme nationaliste ne manquera pas de se retourner contre eux.
Il est courant de dire que le monde ne forme plus qu’un seul pays. Avec la mondialisation des échanges et des communications, ceci est devenue une réalité indéniable. Par voie de conséquence, et contrairement à ce que certains pensent, plus aucun peuple ne pourra prospérer désormais sans tenir compte du bien-être des autres peuples, mais également du bien-être de tous les citoyens qui le composent. Cela veut dire que si l’humanité veut se donner un bel avenir, tous les pays doivent impérativement faire de l’humanisme le fondement de leurs choix, et ce, dans tous les domaines de leur activité : politique, économie, technologie, science, religion… Telle est la condition pour que les êtres humains ne disparaissent pas sous l’effet de leurs instincts les plus destructeurs.
Que faut-il entendre par « humanisme » ? D’un point de vue philosophique, et par définition, c’est la « doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs ». Force est de constater que jusqu’à ce jour, cette doctrine n’a été appliquée dans aucun pays, si ce n’est peut-être au Bhoutan qui, au milieu du XXe siècle, a mis en place le B.N.B., le Bonheur National Brut. D’une manière générale, on a privilégié jusqu’à présent le P.I.B., le Produit Intérieur Brut, ensemble des richesses économiques produites par pays sur une période d’un an. Ce faisant, le monde a fait de l’économie, et non de l’être humain, l’objet de toutes ses attentions, au point de sacrifier son bonheur sur l’autel de la productivité et de la rentabilité.
Dans les pays dits développés, la productivité s’est transformée rapidement en productivisme, et la rentabilité en profit à outrance. Parallèlement, la consommation est devenue consumérisme, de sorte que nombre de citoyens se sont mutés progressivement en consommateurs invétérés, avides de possessions matérielles. Malheureusement, cette course à l’« avoir » a exacerbé leur « Moi … je » et les a rendus de plus en plus individualistes. Pour s’en convaincre, il suffit de repenser à ces scènes où l’on a vu, dans des magasins qui “soldaient” certains articles, des gens se battre pour se les arracher. Parallèlement, et comme je l’ai déjà indiqué, internet a donné à chacun la possibilité de se mettre en scène et de “consommer” avec avidité le plaisir de se sentir important aux yeux des autres.
Privilégier l’intérêt général, le bien commun
Si nous voulons rendre le monde plus humaniste et lui permettre d’évoluer vers un meilleur avenir, il est impératif que les êtres humains rompent définitivement avec l’individualisme ambiant et privilégient l’intérêt général, le bien commun. Cela suppose qu’ils incluent le bien-être des autres dans leurs préoccupations (pas seulement de leurs proches) et ne s’emploient jamais à les spolier, de quelque façon que ce soit. De même, il faut mettre un terme aux tendances nationalistes que la crise actuelle génère dans certains pays, d’autant qu’elles portent en elles les germes de la guerre et de conflits en tous genres. Ainsi donc, gouvernés comme gouvernants, chacun à leur niveau, ont plus que jamais le devoir de se transcender s’ils veulent que le monde se sorte définitivement de l’impasse dans lequel il se trouve actuellement.
Tout être humain est une cellule du grand corps de l’humanité. Dans l’absolu, aucune n’a plus d’importance que les autres. Par ailleurs, toutes sont interdépendantes et partagent une destinée commune. Si elles n’œuvrent pas en harmonie et ne se préoccupent que d’elles-mêmes, c’est le cancer qui guette. De toute évidence, le monde actuel est très malade (pas seulement de la covid 19). Pour qu’il guérisse et soit heureux, il faut que les êtres humains, dans leur très grande majorité, s’ouvrent les uns aux autres et se respectent mutuellement, non seulement dans le pays qu’ils habitent, mais également d’un pays à l’autre. Ils doivent prendre définitivement conscience que la quête du bonheur ne doit pas être individuelle. L’heure n’est plus à l’individualisme ni au nationalisme, mais à l’humanisme et à l’universalisme.
Dans l’« Appellatio Fraternitatis Rosae Crucis », Manifeste que l’Ordre de la Rose-Croix a publié en 2014, on peut lire ceci : « Au cours de l’histoire, les hommes ont montré qu’ils sont capables d’accomplir des choses extraordinaires lorsqu’ils font appel à ce qu’il y a de plus noble et de plus ingénieux dans la nature humaine. Que ce soit dans les domaines de l’architecture, de la technologie, de la littérature, des sciences et des arts, ou dans celui des relations entre les citoyens d’un même pays ou de pays différents, ils ont su faire preuve d’intelligence, de créativité, de sensibilité, de solidarité et de fraternité. Ce constat est en lui-même réconfortant, car il confirme que l’être humain est enclin à faire le bien et à œuvrer au bonheur de tous. C’est précisément pour cette raison qu’il faut être humaniste et avoir foi en lui. »
Si vous partagez les idées exprimées dans cet « Appel à l’humanisme », je vous invite à le relayer et à prendre vis-à-vis de vous-même l’engagement suivant : « Face à ma conscience, je m’engage à m’ouvrir aux autres, à privilégier les contacts directs avec eux, et à soutenir, ne serait-ce qu’en pensée, tout projet visant à établir une véritable fraternité entre les êtres humains et les peuples. »
Dans les liens de l’humanisme.
Serge Toussaint
Grand Maître