Les Rose-Croix : Qui sont-ils vraiment ? Telle est la question à laquelle je vous propose de répondre dans le cadre de cet exposé.
En préambule, je dois préciser que les mots «Rose-Croix» et «Rosicrucien» appartiennent au domaine public depuis plusieurs siècles, de sorte que divers mouvements les emploient ou s’y réfèrent d’une manière souvent illégitime, ce qui peut créer des confusions. Les explications qui vont suivre ne concernent donc que l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, connu dans le monde entier sous le sigle A.M.O.R.C.
Dans la plupart des ouvrages de référence, l’A.M.O.R.C. est défini comme un mouvement philosophique, initiatique et traditionnel, ouvert aux hommes comme aux femmes, sans distinction de race, de classe sociale et de religion. Je vais donc vous expliquer précisément en quoi il est philosophique, initiatique et traditionnel. Mais avant de le faire, il me semble important de préciser brièvement ce que l’A.M.O.R.C. n’est pas, afin de dissiper tout malentendu.
Ce que l’Ordre de la Rose-Croix n’est pas
En premier lieu, l’Ordre de la Rose-Croix n’est pas une religion, ce qui explique qu’il compte parmi ses membres des personnes de toutes confessions religieuses, parmi lesquelles des Juifs, des Chrétiens, des Bouddhistes, des Musulmans, des Animistes, ou autres. En cela, l’A.M.O.R.C. ne se rattache pas à un Prophète ou un Messie tel que Moïse, Jésus, Bouddha ou Mahomet, pour ne citer que les plus connus. De même, son enseignement ne repose pas sur un Livre sacré comparable à la Bible, au Tripitaka ou au Coran. J’ajouterai qu’il est dépourvu de tout dogme, que ce soit d’ailleurs sur le plan doctrinal ou moral. Certes, son symbole est une Rose-Croix, ce qui peut laisser supposer qu’il est lié au Christianisme. Il n’en est rien. Pour les Rosicruciens, la croix représente le corps physique de l’homme. Quant à la rose, placée au centre, elle symbolise son âme. Cela revient à dire que la Rose-Croix, dans son ensemble, représente la dualité de tout être humain, ce qui fait d’elle un symbole, non pas religieux, mais traditionnel et universel. Cela étant, l’A.M.O.R.C. est respectueux de toutes les religions, au point que ses membres restent entièrement libres de continuer à pratiquer celle de leur choix.
À propos de religion, je souhaiterais lever une équivoque. On a tendance à penser que toute personne qui croit en Dieu appartient nécessairement à une religion. Pourtant, on peut très bien avoir la foi sans suivre un credo religieux. Quant à Dieu Lui-même, on peut en avoir une conception différente de celle qui est prônée par les religions. C’est ainsi que les Rosicruciens ne Le voient pas comme un Surhomme siégeant quelque part dans le ciel et décidant Seul de notre destinée. Pour eux, Dieu S’apparente plutôt à l’Intelligence absolue qui est à l’origine de toute la Création et dont l’Essence imprègne et anime tout ce qui existe. En tant que tel, il est impossible de Le comprendre ou de Le connaître. En revanche, on peut étudier les lois par lesquelles Il Se manifeste dans l’univers, dans la nature et dans l’homme lui-même. Vous noterez que cette conception de Dieu n’est ni dogmatique ni partisane, et qu’elle est plus scientifique que religieuse. Le mysticisme et la science ne sont d’ailleurs nullement incompatibles. On peut même dire qu’il s’agit de deux voies complémentaires de Connaissance, les mystiques s’intéressant plutôt au pourquoi des choses et les scientifiques au comment.
Si l’A.M.O.R.C. n’est pas une religion, il n’est pas non plus une secte, au sens péjoratif et négatif de ce terme. Je vous rappelle en effet que le mot «secte» est un dérivé de deux termes latins, à savoir «sectare», qui veut dire «suivre», et «secare», qui signifie «se couper de». On considère en effet que dans une secte, les adeptes sont contraints de suivre un gourou, généralement autoproclamé, et de se couper du milieu familial et social, ce qui entraîne souvent des situations dramatiques. Dans l’A.M.O.R.C., on demande au contraire de privilégier la famille et de participer pleinement à la vie de la société. Quant aux dirigeants de l’Ordre, désignés sous le nom symbolique et traditionnel de «Grands Maîtres», ils sont élus pour un mandat renouvelable de cinq ans et s’opposent à tout culte de la personnalité. Enfin, on admet généralement qu’il est très difficile de sortir d’une secte, notamment en raison de l’aliénation mentale subie par les adeptes. A l’inverse, les membres de l’A.M.O.R.C. peuvent le quitter à tout moment, sans devoir se justifier.
Puisque je viens de me référer aux Grands Maîtres de l’Ordre, il est utile de préciser que l’A.M.O.R.C. est présent dans le monde entier à travers plusieurs juridictions de langue. C’est ainsi qu’il existe une juridiction française, mais également anglaise, allemande, italienne, espagnole, américaine, brésilienne, russe, etc., chacune étant dirigée par un Grand Maître. Tout membre, quelle que soit la juridiction à laquelle il appartient, étudie le même enseignement et bénéficie des mêmes prérogatives.
N’étant ni religieux, ni sectaire, sachez également que l’A.M.O.R.C. est totalement apolitique. Pour être plus précis, toute discussion politique est interdite au sein de l’Ordre. Naturellement, tout membre est entièrement libre de ses opinions et de ses actions dans ce domaine, mais il ne doit pas en faire état lors des activités rosicruciennes. Et c’est précisément parce que l’A.M.O.R.C. est apolitique qu’il réunit des personnes ayant des opinions politiques différentes, sans pour autant que cela ne pose le moindre problème sur le plan relationnel et fraternel.
Venons-en maintenant plus précisément à ce qu’est l’A.M.O.R.C., à savoir, comme je l’ai indiqué au début de cet exposé, un mouvement philosophique, initiatique et traditionnel.
L’origine historique de l’Ordre de la Rose-Croix
Sur le plan purement historique, l’Ordre de la Rose-Croix remonte au XVIIe siècle, époque à laquelle les Rosicruciens se firent connaître en Allemagne, en Angleterre et en France par trois Manifestes devenus célèbres dans le monde de l’ésotérisme : la «Fama Fraternitatis», la «Confessio Fraternitatis» et les «Noces chymiques de Christian Rosenkreutz», publiés respectivement en 1614, 1615 et 1616. De nos jours, on sait que ces Manifestes, qui mêlent des récits à la fois historiques et allégoriques, ont été rédigés par un Collège de Rosicruciens éminents : le fameux «Cercle de Tübingen». Quelques années plus tard, en 1623, une affiche placardée dans les rues de Paris fit connaître davantage l’Ordre de la Rose-Croix. Dans les siècles qui suivirent, cet Ordre perdura sous des formes et des appellations diverses, pour finalement resurgir en 1909 sous le nom d’«Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix». Précisons que l’A.M.O.R.C. publia en mars 2001 un quatrième Manifeste, la «Positio Fraternitatis Rosae-Crucis», que des historiens comme Roland Edighoffer et Antoine Faivre situent dans la lignée des Manifestes du XVIIe siècle.
Avant de poursuivre, il me semble utile de préciser qu’il existait au XVIIIe siècle un lien étroit entre la Franc-Maçonnerie et la Rose-Croix, notamment en Europe. C’est ainsi que des personnages comme Cagliostro, Jean-Baptiste Willermoz et Martinès de Pasqually appartenaient à ces deux Fraternités ésotériques. A cette époque, leurs membres menaient régulièrement des travaux en commun lors de certains convents. De nos jours encore, certaines obédiences maçonniques ont conservé le grade de «Chevalier Rose-Croix». Cela dit, l’A.M.O.R.C. est totalement indépendant de la Franc-Maçonnerie et perpétue son héritage selon une méthode qui lui est propre. Cette remarque me permet d’ailleurs de rappeler la devise de l’Ordre, à savoir «La plus large tolérance dans la plus stricte indépendance». En fait, l’A.M.O.R.C. n’est lié qu’à une seule autre organisation : l’Ordre Martiniste Traditionnel, qu’il parraine depuis le début du XXe siècle, et dont l’enseignement s’inspire de la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin, grand philosophe français du XVIIIe siècle. Dans le cadre de cet exposé, je dirai simplement que le Martinisme se rattache à l’ésotérisme judéo-chrétien.
Mais s’il est un fait que les origines historiques de la Fraternité rosicrucienne se situent à la Renaissance, son héritage traditionnel est beaucoup plus ancien, puisqu’il remonte à l’Égypte antique. De nos jours, nous savons qu’il existait dans ce pays des Écoles regroupant des chercheurs qui s’intéressaient aux mystères de l’existence, d’où leur nom d’«Écoles de Mystères». Ces chercheurs, ces mystiques, élaborèrent graduellement une Connaissance secrète, une Gnose, qui se répandit bien au-delà des frontières égyptiennes. C’est ainsi que des philosophes grecs comme Héraclite, Thalès, Pythagore et bien d’autres, après avoir étudié de nombreuses années en Égypte, fondèrent leur propre École de Mystères en Grèce. À leur tour, des penseurs de la Rome antique étudièrent les Mystères grecs, eux-mêmes inspirés des Mystères égyptiens, et créèrent également des Centres d’études dans leur pays. Par la suite, cet héritage ésotérique fut recueilli par les Alchimistes du Moyen-Âge, puis par les Rose-Croix de la Renaissance. Nous voyons donc que parallèlement aux religions établies, une Connaissance secrète s’est transmise à travers les âges, d’École de Mystères en École de Mystères. Et de nos jours, l’A.M.O.R.C. est l’un des héritiers de cette Connaissance séculaire, d’où son aspect traditionnel.
Voyons maintenant en quoi l’A.M.O.R.C. est un mouvement initiatique. Il l’est par le fait qu’il perpétue un enseignement graduel, ponctué par des initiations. Dans les siècles passés, cet enseignement était dispensé oralement, dans des lieux tenus secrets, afin d’éviter les persécutions religieuses ou politiques. C’est pourquoi l’Ordre de la Rose-Croix était considéré jadis comme une société secrète. Depuis le début du XXe siècle, l’A.M.O.R.C. s’apparente plutôt à une organisation discrète et transmet son enseignement par écrit. Celui-ci se présente désormais sous la forme de monographies adressées aux membres d’une manière confidentielle. Ces monographies, qui consistent en des fascicules de quelques pages, s’échelonnent sur douze degrés majeurs. De mois en mois, d’année en année, de degré en degré, chaque membre de l’Ordre est donc initié à ce que les Rose-Croix enseignent depuis des siècles sur les mystères de l’existence. Ce processus initiatique est particulièrement efficace, car il permet aux connaissances acquises de transcender l’intellect et de devenir une partie intégrante de la conscience de l’âme, ce qui est le but de toute quête véritablement mystique.
L’enseignement de l’Ordre de la Rose-Croix
Quel est donc le contenu de l’enseignement rosicrucien ? Sans entrer dans les détails, je dirai qu’il traite des grands thèmes auxquels les mystiques se sont toujours intéressés : la nature du Divin, les lois de la Création, l’origine et la finalité de l’univers, les concepts de temps et d’espace, la matière en tant qu’énergie et substance, le but ontologique de la vie, l’âme humaine et ses attributs, les phases de la conscience et les facultés qui leur sont propres, les phénomènes psychiques, l’alchimie des rêves, les mystères de la mort, de l’après-vie et de la réincarnation, la science des nombres, les symboles traditionnels, etc. Parallèlement à ces thèmes d’étude, les monographies intègrent également des expériences consacrées à l’apprentissage de techniques fondamentales sur le plan mystique, je pense notamment à la visualisation, la méditation, la régénération, l’éveil psychique, l’harmonisation astrale, la communion spirituelle et autres. Comme vous pouvez le constater, l’enseignement rosicrucien est à la fois profond et complet. Je rappelle également qu’il n’a aucun caractère dogmatique. Autrement dit, les explications données sur tel ou tel sujet constituent davantage une source de réflexion qu’une vérité à laquelle il faut absolument croire. Une telle démarche cultive un esprit tolérant tout en posant les bases d’une personnalité indépendante dans le choix de ses convictions philosophiques.
S’il est un fait que l’enseignement rosicrucien se présente sous une forme écrite depuis le début du XXe siècle, il existe des Loges chargées de perpétuer l’aspect oral de la Tradition rosicrucienne. Ce sont des lieux où les membres peuvent se réunir régulièrement pour participer à des travaux collectifs et partager des moments de fraternité. C’est également dans ces Loges que sont transmises les initiations rosicruciennes. Étant donné qu’il existe douze degrés dans l’enseignement de l’A.M.O.R.C., chaque membre qui le souhaite peut donc recevoir douze initiations dans le cadre de ses études. Si je précise «qui le souhaite», c’est parce qu’elles ne sont pas obligatoires, mais conseillées. Par ailleurs, on n’est pas obligé de se rendre dans une Loge pour les recevoir. Celui qui le préfère peut en effet les effectuer chez lui, à l’aide d’une monographie prévue dans ce but, en la seule présence de son Maître Intérieur. Sans dévoiler le contenu de ces initiations, on peut dire qu’elles consistent en des cérémonies symboliques ayant trois buts majeurs : admettre rituellement le candidat dans un nouveau degré, lui confier de nouvelles clés ésotériques, lui permettre de communier avec la partie la plus divine de son être. Précisons qu’elles n’ont aucun caractère magique, théurgique ou occulte, car la magie, la théurgie et l’occultisme ne font pas partie des pratiques enseignées dans l’Ordre, et sont même déconseillées.
La philosophie de l’Ordre de la Rose-Croix
Il nous reste maintenant à voir en quoi l’A.M.O.R.C. est un mouvement philosophique. Tout d’abord, il faut rappeler que le mot «philosophie» signifie littéralement «amour de la sagesse». Cela suppose que les Rose-Croix sont des «amoureux de la sagesse». Mais qu’est-ce que la sagesse ? Bien qu’il n’en existe aucune définition dogmatique, je dirai simplement qu’elle correspond à l’état de conscience de toute personne qui exprime dans son comportement les vertus que l’on prête à l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus divin. Dans l’absolu, est donc Sage celui qui a éveillé en lui la patience, la tolérance, l’humilité, la générosité, le courage, la bienveillance, la non-violence et autres qualités que l’on attribue à l’intelligence du cœur. Autant dire qu’il y a peu de Sages parmi les hommes… Étant convaincus que le but de tout être humain est de se parfaire, les Rosicruciens s’efforcent donc de devenir meilleurs, non seulement pour leur bien-être personnel, mais également pour celui des autres. Comment ? En pratiquant l’alchimie spirituelle, laquelle consiste à transmuter chacun de nos défauts en sa qualité opposée. Comme vous l’aurez compris, cette forme d’alchimie est la contrepartie spirituelle de l’alchimie matérielle que pratiquaient les alchimistes du Moyen-Âge, et dont le but était de transformer les métaux vils en métaux précieux, notamment en argent et en or.
Mais si la définition première du mot «philosophie» est «amour de la sagesse», elle est parfois définie comme étant la «science de la vie». Là encore, cette définition s’applique parfaitement au Rosicrucianisme, en ce sens que l’A.M.O.R.C. n’est pas une voie de croyance, mais une voie de connaissance. Autrement dit, il n’est pas demandé à ses membres de croire aveuglément à l’enseignement qui leur est transmis, mais de toujours le soumettre au crible de la raison et de l’expérimentation. En cela, la philosophie rosicrucienne n’est pas spéculative, mais opérative, et le laboratoire des Rosicruciens n’est autre que le monde. C’est en effet au contact des autres qu’ils appliquent la Connaissance acquise afin, précisément, d’en faire une science de la vie utile au bien commun, ce qui lui donne un caractère profondément humaniste. A ce propos, voici ce que déclara Francis Bacon, célèbre Rose-Croix du XVIIe siècle, père de la méthode expérimentale : «La plus grande erreur de toutes consiste à se méprendre sur le but véritable de la Connaissance, car certains ne sont poussés vers elle que par une curiosité naturelle et un tempérament avide de savoir ; d’autres pour entretenir dans leur mental la variété et un certain plaisir ; d’autres par ostentation et pour être bien considérés ; d’autres encore dans un but d’émulation et pour la victoire ; beaucoup pour l’appât du gain ou pour gagner leur vie, et peu seulement pour se servir du don divin de la raison dans l’intérêt de l’humanité». (Fin de citation).
Je viens de vous expliquer en quoi les Rosicruciens cultivent l’amour de la sagesse et la science de la vie. Mais si l’on combine ces deux définitions du mot «philosophie», on en obtient une troisième, à savoir «amour de la vie». Trop souvent, on croit que le mysticisme exige que l’on se prive des plaisirs légitimes de l’existence. Rien n’est plus faux. L’idéal est au contraire de mener une vie équilibrée, ce qui suppose de répondre à la fois aux besoins du corps et aux aspirations de l’âme. C’est précisément pour cette raison qu’un athée ou un matérialiste ne peut être heureux à long terme, pas plus qu’une personne qui se consacre exclusivement à la spiritualité. Partant de ce principe, l’A.M.O.R.C. laisse ses membres entièrement libres de vivre comme ils l’entendent, ne les soumettant à aucune obligation ni aucune interdiction. A titre d’exemples, il ne leur demande ni d’être végétariens, ni de jeûner, ni de pratiquer l’ascèse, ni de s’abstenir de telle ou telle chose. Mais, aimer la vie, c’est aussi la respecter sous toutes ses formes et la préserver dans sa diversité. C’est pourquoi les Rosicruciens accordent une grande importance à l’écologie, la Nature étant pour eux le plus beau des sanctuaires. Pour reprendre les propos de François Jollivet-Castelot, éminent Rosicrucien du XXe siècle, elle est «le Grand Livre de Dieu».
Le mysticisme rosicrucien
Nous avons vu précisément en quoi l’A.M.O.R.C. est un mouvement philosophique, initiatique et traditionnel. Mais à plusieurs reprises, j’ai également employé le mot «mystique». Ceci mérite un bref commentaire. Dans le langage courant, ce mot est souvent utilisé d’une manière péjorative pour désigner une personne dont on juge l’idéal ou le comportement mystérieux, étrange, insolite, voire marginal. Pourtant, ce terme désigne simplement un individu qui s’intéresse aux mystères de la vie, au sens traditionnel de cette expression. Par extension, le mysticisme n’est rien d’autre que la science des mystères, là encore au sens traditionnel. A ce propos, j’aimerais vous citer un extrait du discours que Marguerite Yourcenar présenta lorsqu’elle fut nommée à l’Académie française. Parlant de celui auquel elle succédait, voici ce qu’elle déclara : «Le voici donc parvenu, et ce n’est pas sans timidité qu’il l’avoue, à une mystique de la matière. Je crois sentir dans cette timidité l’effet de deux états d’esprit souvent présents chez l’intellectuel de type purement rationaliste, et peut-être surtout en France, l’un, une crainte presque superstitieuse du mot “mystique”, comme si ce mot signifiait autre chose qu’adepte de doctrines restées plus ou moins secrètes ou chercheur de choses demeurées cachées. Et pourtant, nous savons tous que toute pensée profonde reste en partie secrète, faute de mots pour l’exprimer, et que toute chose nous demeure en partie cachée. Le second de ces deux états d’esprit n’est autre qu’un certain dédain du mot “matière”, celle-ci étant trop souvent considérée comme la substance à l’état brut, placée aux antipodes du mot “âme”…». (Fin de citation).
Ce que l’on vient de dire à propos du mot «mystique» me conduit à préciser brièvement le sens du mot «ésotérique», que j’ai également employé à plusieurs reprises. Là encore, on donne souvent à ce terme un sens péjoratif, pour ne pas dire négatif. En réalité, il désigne une tradition, une pratique ou un enseignement qui n’est connu que d’un petit nombre d’individus, non pas parce qu’il est secret, mais parce que peu de personnes s’y intéressent. Vu sous cet angle, il est vrai que l’A.M.O.R.C. est un mouvement ésotérique, ce qui explique pourquoi ses membres sont relativement peu nombreux et pourquoi il est peu connu du grand public. A l’inverse, les religions sont dites exotériques, car elles s’adressent aux masses et sont suivies par de très nombreux fidèles. Cela dit, vous noterez que la plupart d’entre elles ont donné naissance à des courants ésotériques qui leur sont propres et dont le nombre d’adeptes est limité : le Kabbalisme pour le Judaïsme, le Johannisme pour le Christianisme, le Soufisme pour l’Islam. Au sens traditionnel, l’ésotérisme n’a donc rien de péjoratif, mais il constitue un domaine de Connaissance à part entière, d’où l’intérêt que lui portent d’éminents historiens.
Vous savez désormais en quoi l’A.M.O.R.C. est un mouvement philosophique, initiatique et traditionnel, et même en quoi il est mystique et ésotérique. Mais s’il ne fallait retenir qu’une seule chose à son sujet, ce serait qu’il est une Fraternité mondiale, composée d’hommes et de femmes de toute race, de toute classe sociale et de toute religion. A une époque où l’individualisme prévaut et où le nationalisme est encore très marqué, cette ouverture d’esprit mérite d’être signalée. Par là même, l’A.M.O.R.C. démontre son humanisme et sa volonté de contribuer à l’élévation des consciences. Cela ne veut naturellement pas dire qu’il détient la Vérité et que quiconque suit son enseignement est assuré de tout connaître sur tout et de mener une existence dépourvue de tout problème. Mais au moins a-t-il le mérite, indépendamment de l’enseignement qu’il perpétue, d’être un vecteur de tolérance, d’harmonie et de paix. C’est ce qui a fait dire : «L’âme de la Rose-Croix fait partie de celle, humaniste et spirituelle, de l’Occident ; elle en est l’un de ses joyaux étincelant de beauté, d’amour et de pureté».
Rose-Croix et Rosicruciens
Je souhaiterais maintenant préciser un dernier point. Comme vous l’avez certainement remarqué, je me suis référé tantôt aux Rose-Croix, tantôt aux Rosicruciens. En réalité, ces deux termes ne sont pas synonymes dans la Tradition rosicrucienne. Si l’on veut être précis, le mot «Rosicrucien» désigne un membre de l’A.M.O.R.C., et d’une manière générale un étudiant du Rosicrucianisme. Quant au mot «Rose-Croix», il s’applique en principe à tout Rosicrucien qui a atteint la Sagesse, au sens que j’ai défini tout à l’heure. Dans l’absolu, un Rose-Croix est donc un être, sinon parfait, du moins proche de l’état de Perfection, tel qu’on peut l’exprimer sur le plan humain. Tout comme il y a très peu de Sages parmi les hommes, vous comprendrez qu’il y ait très peu de Rose-Croix véritables…
Pour clore cet exposé, j’aimerais tout simplement vous citer l’extrait d’un texte de Coménius, célèbre Rosicrucien du XVIIe siècle, considéré de nos jours comme le Père spirituel de l’U.N.E.S.C.O. Cette citation résume parfaitement ce qu’a toujours été l’idéal Rose-Croix :
«Nous voulons que tous les êtres humains, ensemble ou pris isolément, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, nobles ou roturiers, hommes ou femmes, puissent pleinement s’instruire et devenir des êtres achevés. Nous voulons qu’ils soient instruits parfaitement et formés, non seulement sur tel ou tel point, mais également sur tout ce qui permet à l’homme de réaliser intégralement son essence, d’apprendre à connaître la Vérité, à ne pas être trompé par des faux-semblants, à aimer le bien et à ne pas être séduit par le mal, à faire ce qu’on doit faire et à se garder de ce qu’il faut éviter, à parler sagement de tout avec tout le monde ; enfin, à toujours traiter les choses, les hommes et Dieu avec prudence et non à la légère, et à ne jamais s’écarter de son but : le bonheur».